Je vous invite à vous inspirez de cet article percutant concernant ma scolarité chaotique de personne avec handicaps.
AGILE n.235 : JDM, l’expert arroseur arrosé + écrivaine genevoise
AGIR LIBRES ENSEMBLE – Mouvement de Défense Ethique et Citoyenne
Bulletin n°235 – 23 juillet 2024 – 403 abonnés – par Dino
Sommaire :
- Genève – à la découverte d’une auteure genevoise, de son handicap et de ses activités
À LA DÉCOUVERTE D’UNE AUTEURE GENEVOISE ET DE SON HANDICAP
Suite à une rencontre avec l’auteure genevoise Zara Cochard, j’ai lu son premier livre, sorti en 2010, intitulé « Patience enragée : apprendre avec un handicap », publié aux Editons de l’Escarboucle (Yverdon). Le livre est bien construit. Il alterne entre des phases purement descriptives et factuelles, notamment lorsque Zara évoque la période de sa naissance ─ où les problèmes ont commencé ─ et de sa petite enfance, qu’elle a découvertes d’après ce qu’on lui a raconté ou en épluchant des dossiers d’époque. D’autres parties du livre ─ les souvenirs d’enfant et d’adolescente aidant ─ sont rédigées de manière beaucoup plus personnalisée et engagée, reflétant les émotions fortes qu’elle a emmagasinées et qui sont relatées de manière efficace.
On pourrait dégager quatre thématiques principales au fil du récit. D’une part, la description précise des durs apprentissages physiques pour surmonter les écueils de son double handicap moteur (l’hémiplégie) et visuel (un champ de vision extrêmement limité). L’épuisement quotidien lié à tous ces efforts physiques est la principale constante qui s’inscrit depuis son enfance dans la limitation de sa qualité de vie. Cela commence déjà par le temps très long qu’il faut le matin pour s’habiller, avec une seule main. Cela continue avec les exercices pour apprendre à tenir son équilibre, à marcher autant qu’il est possible. Son père en particulier, éducateur spécialisé (physiologique et cognitif), a été un précieux soutien tout au long de sa jeunesse. L’orientation spatiale est une autre limitation pour Zara. Sa vue très parcellaire et troublée ne lui permet pas de repérer les lieux. Contrairement aux aveugles, elle ne peut pas mentalement reconstituer l’environnement à travers le toucher et le sens de l’orientation. Alors ses déplacements autonomes se limitent au possible aux secteurs qu’elle connait par cœur. Mais si la neige vient s’ajouter, cela devient un véritable parcours du combattant, vu que son équilibre en tant qu’hémiplégique est déjà peu assuré à la base, alors quand en plus ça glisse…
Un autre aspect prégnant qui ressort de manière constante de son récit est l’incompréhension et donc les réactions inadaptées, voire inappropriées, d’une partie des personnes croisées au fil de son existence, à commencer par le personnel enseignant à l’Ecole primaire ou au Cycle d’Orientation. En effet, les deux handicaps de Zara ne sont PAS VISIBLES de prime abord, ce qui conduit immanquablement à des malentendus, parfois très blessants, avec des personnes inconnues, notamment dans les transports publics. Un jour qu’elle était adolescente, elle a dûment patienté que les passagers descendent d’un bus avant d’y monter. Comme cela lui prenait du temps pour monter elle-même, elle s’est retrouvée face à un très vieux monsieur qui pouvait à peine marcher et qui allait donc descendre du bus avec du retard. Trouvant la jeune Zara sur son chemin (qui ne pouvait pas rebrousser chemin en plein effort), il l’a prise pour une ado mal élevée (et valide) et a quand-même eu assez de force pour la pousser sèchement afin qu’elle « dégage » et elle a chuté lourdement sur le bitume… Et certains enseignants, quand-bien même le double handicap est officiellement signalé et ne manque pas de se remarquer lorsqu’on en vient aux choses pratiques de la vie scolaire, n’ont pas été à la hauteur. Certains se sont montrés trop durs et intransigeants. Il y en eut un en particulier à l’école primaire, qui imaginait pouvoir la rééduquer par l’effort sans réaliser ses limites. Il fut le pire souvenir pour Zara, un traumatisme. A l’inverse, toujours à l’Ecole primaire, une enseignante faisait preuve d’un excès de sollicitude, ce qui génère d’autres problématiques, vu qu’elle espérait pouvoir la guérir via des pratiques quasi-miraculeuses : un ratage total. D’autres enseignants, notamment au Cycle d’orientation, n’étaient pas assez concernés par les handicaps de Zara. L’un des besoins fondamentaux pour pouvoir suivre le niveau scolaire était de disposer de photocopies agrandies de tous les documents, mais elle a dû trop souvent réclamer ce besoin suite aux oublis des enseignants. Pour compenser, Zara s’est davantage appuyée sur l’écoute pour assimiler les matières.
Concernant les autres enfants ou adolescents, Zara a connu le meilleur (de très bonnes amies) mais aussi la cruauté. Son pire souvenir concerne deux garçons de sa classe au Cycle, vers ses 14 ans, qui l’avaient plaquée au mur puis lui ont craché dessus.
Heureusement, certains enseignants furent pour Zara une source de bonheur et d’apports de solutions pratiques bienvenues. L’élève qu’elle fut avait une prédilection pour le français et l’anglais, ainsi qu’une certaine aisance en allemand. Pour les mathématiques en revanche, il fallait trouver des stratégies d’apprentissage particulières, ce qui fonctionna grâce à l’engagement important d’un professeur de maths en particulier. Au final, elle est sortie promue du Cycle d’Orientation.
Ces mêmes schémas se sont retrouvés lors de la vie de jeune adulte de Zara, ce qui constitue le troisième volet important du récit. A partir de 16 ans elle chercha à trouver sa voie professionnelle, en suivant des cours dans différentes écoles, standard ou spécialisées, des apprentissages, ainsi qu’à travers des stages. A priori s’agissait-il du domaine administratif-bureautique, tout en sachant que des opérations basiques, telles perforer des trous, appliquer des agrafes, réaliser des photocopies, réclament une dextérité et des efforts particuliers. D’autre part, l’alphabet braille, s’il est adapté à l’apprentissage de la dactylographie pour les non-voyants, il ne répondait pas aux besoins de Zara, vu qu’elle ne peut utiliser que cinq doigts pour taper les caractères. Ce sont donc les capacités auditives de Zara qui lui furent du plus grand secours : sa mémoire et sa facilité à s’exprimer l’ont rendue efficiente en tant que secrétaire réceptionniste à l’aise au téléphone. Elle apprenait de longues listes par cœur, par exemple des noms et des numéros de téléphone correspondant, plutôt que de s’esquinter à devoir les déchiffrer en vitesse. Pour finir, des technologies modernes lui ont offert un relatif accès au traitement de texte et à l’utilisation d’internet. Tout cela pour aboutir, grâce au soutien de certaines personnes décisives dans sa vie, au métier d’auteure et de conférencière, spécialisée dans le domaine du handicap.
La quatrième partie importante que l’on peut dégager du récit est celle de la vie amoureuse, en tant qu’adolescente et jeune adulte. Comment s’épanouir à ce niveau quand à première vue, on est plutôt mignonne, comme en témoigne la photo de jeunesse en dos du livre, mais que les garçons se rendent vite compte des handicaps ? Cela a donné lieu à une première grande désillusion à 16 ans avec un garçon à l’Ecole de Culture générale, d’abord amoureux d’elle, mais qui se désista suite à des pressions externes. Mais le principal sujet de cette partie concerne une grande histoire d’amour à 18 ans, avec un jeune homme, de six ans son aîné, spécialiste en électronique, qui était victime d’un handicap encore plus invalidant que le sien, qu’elle pouvait aider jusqu’à l’abnégation la plus totale malgré ses propres handicaps. Son décès prématuré représenta pour Zara un traumatisme immense, qu’elle a dû apprivoiser pour en sortir grandie moralement.
Le récit de vie de Zara Cochard m’a permis de mieux prendre conscience de problèmes concrets liés à un handicap physique et en particulier celui de l’hémiplégie, que je connaissais à peine. Je peux aussi confirmer que lorsqu’on la croise pour la première fois, juste en parlant un peu, ses deux handicaps ne sont pas identifiables, à la différence de croiser quelqu’un qui se déplace avec une canne blanche ou en chaise roulante. On réalise donc bien les malentendus que cette invisibilité de prime abord peut causer dans certaines situations de la vie courante.
Le second livre publié par Zara Cochard s’intitule « Choisir la vie » (2015), qui parle de son compagnon décédé et le dernier, « Des Etoiles dans la Nuit » (2024), axé sur des proches qui ont disparu et la recherche de la paix intérieure. Voici son blog et sa chaîne youtube
La musique tient une place importante pour Zara, outre des chansons en français, elle aime en particulier la chanson anglophone. Elle a une affection particulière pour ce titre :
JUDY GARLAND - Somewhere over the rainbow (1939)
https://youtu.be/zRoyGplher0?si=wA7SGpJBlkhyXjPS
Exemple d’une version moderne :
ISRAEL "IZ" KAMAKAWIWO'OLE - Somewhere over the rainbow (2011) https://youtu.be/w_DKWlrA24k?si=jVdS_NnEMgZW8kAF
Zara Cochard s’intéresse aussi à l’Histoire et précise que son rythme physique et son rythme intellectuel, psychologique ne sont pas du tout les mêmes. Elle tient aussi à signaler que la maladie du seul œil qui lui permet de voir très faiblement est dégénérative. Sa vue a donc encore baissé depuis sa jeunesse, ce qui limite encore plus ses activités de lecture-écriture. Enfin, elle œuvre depuis 2023 à un groupe de soutien destiné à des personnes ayant perdu des proches, intitulé « Des étoiles dans la nuit ». Pour plus d’infos : https://youtu.be/b4ffCUWpsyQ?si=lxg5g8NGWGaVRK_R
Vous pouvez rencontrer Zara Cochard à Genève ce mardi 30 juillet 2024 à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains et d’enfants, horaire entre 18.00 et 20.30 en Vieille-Ville, aux canons, Rue de l’Hôtel-de-Ville 1.